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Les paradoxes de la mixité sociale et comment en sortir ?

06/05/2016 | Les paradoxes de la mixité sociale et comment en sortir ?

Thomas KirszbaumPar Thomas Kirszbaum, sociologue, chercheur associé à l’Institut des sciences sociales du politique (ENS-Cachan, CNRS UMR 7220).

Les politiques cherchant à promouvoir la mixité sociale dans l’habitat reposent sur un paradoxe bien connu des acteurs du logement : bien qu’omniprésente dans les textes et les discours, la mixité n’y est définie nulle part. Du fait de la multiplicité des critères (revenus, origines, âges…) et des échelles (de la cage d’escalier au bassin d’habitat) permettant d’apprécier son existence ou son absence sur un espace donné, la mixité résiste à toute tentative d’objectivation. À défaut d’en proposer une définition positive, ses promoteurs la présentent comme l’antidote ou le remède à des phénomènes considérés comme négatifs : la concentration, la ségrégation, l’entre-soi, le communautarisme…

En France, la mixité est ainsi censée répondre à une menace centrale, construite politiquement et médiatiquement, celle que des quartiers stigmatisés comme des « ghettos » feraient peser sur le « modèle d’intégration » prétendument constitutif de notre identité nationale.
Inopérante comme catégorie descriptive de la situation (réelle ou désirée) d’un territoire, la mixité est donc avant tout une valeur, un idéal, voire une utopie, appuyés sur une vision politique du bien commun. Avec cet autre paradoxe du cadre républicain français : la mixité dite « sociale » est une expression codée désignant la mixité raciale ou, plus exactement, son déficit supposé dans certains quartiers populaires. Déficit de mixité raciale et non de mixité ethnique, car l’on recense souvent plusieurs dizaines de nationalités dans ces quartiers. Si l’on y déplore néanmoins l’absence de mixité, c’est qu’il y manque une composante jugée essentielle : les Blancs qui, dans bien des cas, n’y sont plus majoritaires.

Il faut se tourner vers l’histoire pour comprendre comment l’objectif de mixité sociale a été d’emblée confondu avec un objectif de mixité raciale formulé en termes de « rééquilibrage », c’est-à-dire de retour des Blancs dans les quartiers d’habitat social. Si les termes « mixité sociale » sont apparus de façon assez soudaine au début 1990, c’était la suite d’une histoire commencée quelques décennies plus tôt. À partir de la guerre d’Algérie, le regroupement des « nord-africains » dans des foyers en métropole a été considéré comme un péril grave pour l’ordre public. Puis l’inquiétude des autorités nationales et locales (notamment les maires communistes) s’est déplacée vers certains segments du parc HLM où ont été concentrées des familles venues du Maghreb, concentration qu’une politique officielle de quotas n’était pas parvenue à juguler.

Outre ce sous-texte racial, l’autre spécificité française est l’imposition par la loi de seuils quantitatifs – c’est-à-dire de quotas – à ne pas dépasser ou à atteindre. Jusqu’à la loi Égalité et citoyenneté en cours de discussion, qui prévoit d’imposer 25 % de ménages pauvres dans les attributions de logements sociaux réalisées en dehors des quartiers de la politique de la ville, une approche très sélective de la mixité a été déployée. Elle a visé d’un côté l’« équilibre » des populations accueillies dans les quartiers d’habitat social, et de l’autre la production de logements sociaux dans des communes souvent aisées.

Cette mixité à « deux vitesses » – celle des populations ou celle des logements selon les territoires considérés – s’est révélée tout à la fois inefficace et injuste. L’imposition de quotas de logements sociaux dans les communes riches s’est révélée largement inefficace au regard de l’objectif posé par la loi d’orientation pour la Ville du 13 juillet 1991 : « éviter ou faire disparaître les phénomènes de ségrégation ». À l’autre extrémité du spectre spatial, la volonté de freiner l’entrée de ménages pauvres, appartenant le plus souvent à des minorités ethniques, dans les quartiers de la politique de la ville, a réduit l’offre de logements accessibles par ces populations.

À partir des années 2000, la démolition de grands logements sociaux bon marché dans le cadre de la rénovation urbaine n’y a pas peu contribué.
Si l’on veut éviter les effets discriminatoires de la mixité, ce sont des considérations d’équité qui devraient guider les politiques de l’habitat. Il s’agirait d’apprécier la valeur des stratégies de mixité à l’aune de l’augmentation de la capacité de choix résidentiel de ceux qui en ont le moins. Créer les conditions d’un choix effectif des moins favorisés suppose de donner la priorité au logement réellement abordable (y compris dans le secteur privé). Il faut aussi s’assurer que chacun a des chances équitables d’y accéder. L’enjeu est d’articuler autrement mixité et non-discrimination, deux principes énoncés jusqu’à présent de façon disjointe, voire en confrontation.

Sauf à en assumer le caractère discriminatoire, la mixité ne saurait être que de nature socio-économique dans les quartiers populaires et nécessite de faire le deuil du retour des classes moyennes blanches dans les grands ensembles. La rénovation urbaine devrait chercher à améliorer les conditions de vie de ceux qui résident d’ores et déjà dans les quartiers populaires, afin d’en faire des quartiers de choix. Mais pour que le choix soit réel, il faut aussi faciliter la mobilité des ménages qui aspirent à quitter ces quartiers. Cela suppose de développer une offre d’habitat correspondant aux ressources de ces populations, de lutter activement contre les discriminations tant dans le secteur social que privé, de travailler enfin sur les représentations et préjugés des élus, bailleurs et habitants des territoires où ces populations font figure d’épouvantails.

Plus encore que dans le logement, c’est dans les espaces non résidentiels que la mixité devrait être promue en priorité. Plus que de politiques de peuplement, nous avons besoin de politiques d’accès ! L’intérêt de la mixité comme stratégie de réduction des inégalités a des fondements scientifiques très fragiles. Les effets positifs de la mixité sont en revanche largement documentés à propos de l’école, mais aussi de l’université ou des entreprises. Réguler les marchés scolaires, de la formation ou de l’emploi pour les rendre moins ségrégatifs est autrement plus décisif pour la promotion sociale et résidentielle des populations les moins favorisées que d’avoir un voisin de palier noir ou blanc, riche ou pauvre.

Thomas Kirszbaum

Chercheur associé à l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP,  École normale supérieure de Cachan-CNRS UMR 7220)
Enseignant au département  de science politique de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
http://www.isp.cnrs.fr/?KIRSZBAUM-Thomas
https://ens-cachan.academia.edu/ThomasKirszbaum
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