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Tribune : « Il est urgent de refonder la politique foncière »

17/12/2019 | Tribune : "Il est urgent de refonder la politique foncière"

Dans une Tribune publié dans Le Monde du 3 décembre 2019, un collectif de dix organisations actives dans l’agriculture, le logement et le développement appelle à la promulgation d’une nouvelle loi foncière, pour mettre un terme à la destruction irraisonnée des espaces naturels. Dans la lignée de ses actions de rénovation du bâti existant, Solidarités Nouvelles pour le Logement soutient et cosigne cet appel appelant à limiter plus efficacement l’étalement urbain.

De nombreuses voix s’élèvent avec raison contre les incendies en forêt amazonienne dont les causes sont structurelles et mondiales. Au même titre qu’il faut en combattre les effets là-bas, il convient de s’insurger contre la destruction des terres agricoles en France et en Europe. L’abandon du projet Europa City est à cet égard un bon signal, mais ne suffit pas : chaque jour l’agriculture française perd plus de 100 hectares et vingt emplois.

Parce que les espaces agricoles et forestiers sont à la fois limités et indispensables à la vie de chacune et chacun d’entre nous, ils constituent un patrimoine commun. A l’échelle mondiale, ce patrimoine procure 97 % des calories alimentaires consommées par l’humanité. Or, la production alimentaire sera de plus en plus affectée par le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité.

Il est donc impératif de préserver ces espaces, tant en quantité qu’en qualité. Ce sont eux qui captent et séquestrent le carbone et qui accueillent la biodiversité. La préservation de ces espaces dès maintenant est la condition d’un système alimentaire mondial sain et durable pour demain.

La France et l’accaparement foncier

En bilan net, l’Union européenne importe depuis d’autres pays l’équivalent de la production agricole de plus de 20 % de ses propres surfaces agricoles ; raison de plus pour arrêter le déversement de béton et de bitume sur les terres agricoles ici. Comment pouvons-nous appeler des pays tiers à arrêter leur déforestation tout en étant toujours plus demandeurs de leur soja, de leurs agrocarburants ou de leur huile de palme, notamment à force de détruire les terres agricoles en Europe et en France ?

La France est à ce jour le 9e pays responsable d’accaparement foncier au niveau mondial. Ici comme ailleurs, notre gouvernement doit donc prendre la pleine mesure de sa responsabilité foncière.

Le foncier est un patrimoine commun qui doit être partagé entre de nombreux paysans et paysannes pour y pratiquer une agriculture durable et protectrice de la biodiversité et de la santé des sols. Aujourd’hui, les terres se concentrent au profit d’une agriculture industrielle forte consommatrice de capital, d’énergie et d’intrants.

Une part de plus en plus grande de la valeur ajoutée et du revenu agricole est captée par la sphère financière à travers le montage de sociétés commerciales et de fonds d’investissement, ou encore de l’endettement croissant auprès des banques de producteurs poussés à acheter des matériels toujours plus puissants.

Une politique ambitieuse d’installation

En France, la concentration des terres s’observe notamment au sein de la viticulture et des grandes cultures, secteurs où l’externalisation à des entreprises de grande taille est de plus en plus importante. Ce secteur des grandes cultures s’étend au détriment des productions maraîchères, fruitières, laitières ou de polyculture-élevage, qui créent pourtant plus d’emplois et de richesse par unité de surface.

Contrairement à ce qu’affirme la théorie économique classique, les marchés fonciers ne permettent pas la meilleure allocation d’une ressource limitée pour la collectivité, mais permettent à une minorité de capter une part croissante de la valeur ajoutée et des aides de la politique agricole commune liées aux surfaces sans plafonnement. La transition écologique de l’agriculture impose des paysans nombreux, et donc une politique ambitieuse d’installation. C’est pourquoi les outils de régulation publique conçus dans les années 1960 pour réguler les marchés de la terre doivent aujourd’hui être rénovés.

Sans nouvelle loi, la destruction des espaces naturels se poursuivra à un rythme insoutenable, la concentration des terres se poursuivra au profit d’une agriculture industrielle qui uniformise les paysages, vide les campagnes de leurs habitants et marginalise une agriculture plus respectueuse des humains et de l’environnement.

Zéro artificialisation

Nous demandons une loi de refondation de la politique foncière française pour préserver la terre tant quantitativement (zéro artificialisation) que qualitativement, et pour la partager. Ce principe de « zéro artificialisation » ne s’oppose en aucun cas au droit au logement. Si les solutions à la crise du logement sont d’abord à trouver dans le tissu urbain existant, sans refouler les plus pauvres à l’extérieur des villes, des dérogations doivent être mises en place dans les zones où les besoins sont les plus forts, après avoir étudié sérieusement les possibilités d’évitement de l’extension urbaine.

Il est urgent d’orienter l’usage des terres vers les meilleurs projets alimentaires, sociaux et environnementaux pour la collectivité. Un nouveau dispositif permettrait de simplifier un système devenu aussi illisible qu’inefficace.

Il est par ailleurs nécessaire que la France prenne conscience de son impact négatif sur le foncier des pays tiers. Une réflexion sur l’empreinte foncière, directe et indirecte, de la France doit être menée et les outils de contrôle questionnés.

Devant l’urgence écologique et sociale, nous exigeons une loi foncière pour créer des emplois, préserver le climat et la biodiversité ici et ailleurs, avoir une alimentation saine, et tendre vers notre souveraineté alimentaire. Il en va aussi de la crédibilité de la France dans les négociations internationales.

Liste des signataires : Clotilde Bato (Alternatives agroécologiques solidaires SOL), Cécile Claveirole (France Nature Environnement), Manuèle Derolez (CCFD-Terre solidaire), Nicolas Girod (Confédération paysanne), Christophe Lépine (Fédération des conservatoires d’espaces naturels), Robert Levesque (Association pour l’amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles-Agter), Marie Pochon (Notre affaire à tous), Baudouin de Pontcharra (Solidarités Nouvelles pour le Logement), Guillaume Riou (Fédération nationale d’agriculture biologique), Michel Vampouille (Terre de liens).